Sémioticienne et spécialiste de la communication innovante, Marie-Nathalie JAUFFRET exerce son expertise en qualité d’enseignante-chercheuse et de consultante. Intervenante au sein du Master ICONES depuis 2015, elle y enseigne, entre autres, la communication de crise et l’ingénierie du plan de communication. Dans un contexte pandémique inédit, elle nous accorde un entretien pour évoquer les problématiques et les enjeux actuels de la communication notamment dans sa dimension numérique.
Les sciences de l’information et de la communication prennent-elles aujourd’hui un nouveau tournant ?
Le champ de la Communication a gagné en lisibilité ces dernières années, plus spécifiquement dans le domaine de la digitalisation avec l’arrivée d’internet, des plateformes et des réseaux sociaux. Le principe même de l’adaptation s’affiche donc au côté du mot communication. Comme un effet de psittacisme, toute communication s’accompagne de nouveauté et d’innovation et ce, en France comme à l’international.
Pouvons-nous donc considérer la communication comme évolutive ?
Toute chose peut évoluer dans un sens ou dans un autre. Si on retient la définition de l’évolution comme une suite de mouvements variés, il est aisé de considérer que la communication évolue (dans ses formes verbales ou non verbales). Elle s’adapte aux multiples situations qu’elle rencontre dans des champs toujours plus divers. Elle performe, elle affronte de nouveaux éléments et fait affronter à ses cibles des contextes toujours plus larges et exigeants. Elle peut aussi être surprise par un élément invisible et mener de face et sans préparation aucune – ou presque – des crises internationales provoquées par une pandémie comme nous l’observons avec la présence du COVID-19.
Dans ce contexte pandémique provoqué par le COVID-19, quelle a été la première erreur de communication à l’échelle internationale ?
Traiter de communication signifie communiquer. Pour communiquer justement, il est utile voire nécessaire de s’appuyer sur des mots justes et précis. L’une des toutes premières erreurs internationales réside dans l’utilisation du terme « coronavirus ». En effet, il existe des centaines de coronavirus. Dès le début de la crise sanitaire, des experts utilisaient le mot coronavirus avec un certain entendement – qui va du rhume, en passant par le SRAS-CoV et le MERS-CoV bien connus pour leurs effets dévastateurs – alors que d’autres scientifiques, représentants politiques et influenceurs évoquaient au même moment le nouveau coronavirus : le 2019-nCoV, nom vulgarisé en COVID-19.
Cet usage du mot coronavirus a-t-il généré un effet particulier sur les cibles ?
Les cibles, représentées ici par les populations non scientifiques, sont amenées à écouter des experts donnant des explications parfois généralistes et parfois plus fines amenant des vagues d’imprécisions importantes. En outre, nous vivons dans un monde dans lequel le succès passe de plus en plus par la médiatisation digitale et bon nombre de prétendus experts souhaitent s’exprimer devant les écrans pour obtenir une petite gloire qui satisferait bien Andy Warhol. Ce dernier avait émis en 1968 la prédiction suivante : « à l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». Tout le monde peut donc désormais prendre place sur les supports numériques pour officiellement discourir sur sa ou ses propres théories.
Quel sont les risques de cette démocratisation de la parole via les réseaux sociaux numériques ?
Les théories de la désinformation, celles du complot et plus généralement les fake news trouvent un écho très important, de plus en plus large. D’ailleurs, ce terrain est particulièrement riche d’étude pour les chercheur.se.s et étudiant.e.s en communication et en journalisme. Cette infodémie vient tout juste de prendre pied avec ces informations surabondantes, plus ou moins vérifiées et dont les sources ne sont pas rapidement et aisément vérifiables. Dispensée auprès de millions de personnes, elle génère aussi du rejet. Ainsi, de plus en plus de plateformes travaillent à lutter contre cette épidémie de l’information. Les nouvelles se trouvent donc parfois utilement combattues mais ce combat menace aussi potentiellement la liberté d’expression. La communication se doit d’être vérifiée de façon régulière tant textuellement que visuellement. Cela guide nos pas vers plus de contrôle mais aussi plus d’adaptation et de création pour contourner les règles établies.
Scientifiques et grand public, politicien.ne.s et influenceur.se.s : tous et toutes surfent sur les réseaux sociaux. On ne parle pas d’un microcosme…
Internet se définit comme une partie de miroir de notre société avec ses faiblesses et ses qualités, avec ses extrémités et ses innovations de rupture et ses stratégies de défense. Bien souvent, l’innovation s’accompagne de la peur du risque. Risque de perdre des acquis, risque de se questionner et risque d’avancer dans l’inconnu. Cette émotion qui accompagne la sensation d’une menace, peut selon certains et certaines se rééquilibrer en travaillant sur la notion de flexibilité, d’adaptation et de mise en résonance. Pour d’autres, ce sera une coupure plus ou moins franche qui permet une mise à l’écart. Lors du confinement dû à la présence du COVID-19, nombreux sont ceux et celles qui, à un moment donné, ont décidé de ne pas se laisser submerger par les émotions négatives et ont décidé de faire abstraction des dernières nouvelles et des informations nationales ou internationales.
Cette flexibilité communicationnelle est-elle aisée ?
Communiquer demande une certaine adaptation. Une adaptation à la personne qui nous fait face. Une adaptation au contexte, à la culture et également au receveur du message. En effet, il est souhaitable d’adapter le message à la cible. Si je parle de masques par exemple, je peux parler de masques chirurgicaux, de masques respiratoires ou alternatifs, de masques de carnaval, de masques composés de gel ou de crème pour la peau. Il faut donc constamment penser – et il s’agit souvent d’un acte inconscient – ce que peut comprendre la personne qui nous fait face. Généralement la communication non verbale est là pour nous assister et nous faire comprendre par un froncement de sourcil ou une marque d’étonnement que nous ne traitons pas du même masque. En revanche, à l’heure où nous nous entretenons, si vous tapez sur un moteur de recherche le mot « masque », vous trouverez dans les 5 premières pages les informations qui concerne le COVID-19. Certains diront donc que nous sommes victimes de logiciels qui croisent nos données pour nous fournir des contenus que nous pensons aléatoires mais qui sont incontestablement influencés par nos visions précédentes. Plus une communication est formulée, plus elle passe au premier plan, plus elle peut être considérée comme juste. Il s’agit donc de prévoir et de maîtriser l’envoi et la réception de messages pour ne pas en subir les excès (comme la théorie du complot). Il faut néanmoins aussi et c’est tout le paradigme, savoir écouter une nouvelle et possible compréhension d’un monde pour s’adapter rapidement car chaque génération a pour habitude de surprendre la suivante.
Devons-nous prévoir une nouvelle forme de communication prédominante ?
Certes, l’action de prédire et de communiquer les informations relatives à un raisonnement intuitif ou un raisonnement basé sur des faits scientifiques a de tout temps existé sous des formes variées. Que l’on se réfère aux jetés d’osselets divinatoires, à l’astrologie, aux oracles de Delphes, à la cartomancie, la tasséographie (lire les feuilles de thé ou dans le marc de café), l’encromancie ou encore la numérologie, la lecture de l’avenir a toujours fasciné les êtres humains. Si la question est de savoir quelle sera la prochaine forme de communication, beaucoup s’accorderont sur le fait qu’elle sera digitale et innovante. Des personnages biodigitaux – qui prennent toutes les apparences humaines, animales ou celle d’êtres plus originaux – naissent déjà. Ils attendent tels des accessoires animés, de se transformer en influenceurs, ambassadeurs de marques, employés voire même représentants du peuple ; que l’on les dessine, leur attribue un tempérament et les mettent à disposition sur le marché du travail avec une voix choisie et étudiée pour positivement accompagner ou manipuler les foules. D’autres prédiront un retour aux sources, hors du milieu urbain pour vivre en distanciation choisie, ou en zone blanche pour s’éloigner des souffrances physiques dues à l’électrosensibilité apportées par les ondes. Il reste un fait indéniable dont nous sommes tous et toutes les témoins. La communication poursuivra son chemin, portée par une internationalisation sans précédent par, à cause et grâce notamment à l’invisible : les ondes. Reste donc avant toute chose de communiquer avec soi-même. Se comprendre, s’écouter penser, apprendre à accepter le regard des autres, prendre de la distance avec le contexte pour mieux le saisir, pour se préparer physiquement et mentalement, pour développer nos propres capacités de flexibilités et d’adaptation dans la douceur des échanges cordiaux, honnêtes et dépassionnés.
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